Du cycle d’apprentissage en Tai Chi Chuan – troisième partie

Par REVEL Maximilien — Au fil du Tao

Nous allons poursuivre la réflexion sur le sujet de l’apprentissage, commencée dans les deux précédents articles.

Les questionnements suivants feront partie du voyage :

  • Comment puis-je aborder un enseignement inconnu ?
  • Qu’est-ce que la maitrise ? Constitue-t-elle une fin ?
  • Comment la pratique s’installe-t-elle ? Pourquoi est-elle un bienfait ?

L’essentiel de cet article repose sur le concept de maîtrise tel qu’il a été abordé par George Leonard dans son ouvrage Mastery.

L’analyse se concentrera sur une tentative de définition de ce concept avec un gros plan sur la notion de plateau d’apprentissage.

Il me semble important au préalable de faire un rappel sur la distinction entre un savoir pratique et un savoir intellectuel.

Rappel du premier fondement

Un article avait apporté quelques éléments sur la manière dont il convient d’apprendre : https://aufildutao.fr/de-lapprentissage-en-tai-chi-chuan/

Il existe deux axes d’apprentissage complémentaires : le Savoir Intellectuel et le Savoir pratique.

En effet, je distinguerai :

  • la connaissance intellectuelle : nommer les techniques, mémoriser une forme,
  • le savoir pratique : savoir se détendre, s’enraciner, être capable de neutraliser une attaque sans force, donner un coup de manière interne…

On peut très bien avoir compris intellectuellement un mouvement sans être capable de l’exécuter : l’enracinement n’est pas un concept compliqué, mais être en mesure de le réaliser demande beaucoup de temps de pratique.

Inversement, on peut savoir faire un mouvement sans pouvoir le rattacher à un concept.

Traditionnellement, l’apprentissage commence par le Faire que complétera ensuite le Savoir.

Acter que nous fonctionnons comme deux personnes aux talents complémentaires est le fondement de toute progression : elle suppose que nous apprenons sur les deux lignes en parallèle.

Par exemple, j’évoquais l’importance de savoir vider son verre avant de pouvoir acquérir les nouvelles connaissances. Être capable d’être neutre se comprend au niveau du :

  • Savoir : mémoriser une nouvelle forme suppose de ne pas essayer de retrouver une ancienne forme apprise ;
  • Faire : la manière de faire un mouvement doit être réapprise par le corps.

Ce premier point éclairci, je vais maintenant parler de la progression elle-même.

La notion de plateau d’apprentissage

Tout apprentissage important est composé de brèves rafales de progrès suivies de longues périodes de travail où l’on a l’impression d’aller nulle part.

La notion de plateau désigne cette phase apparente d’arrêt dans l’apprentissage.

Précisons ce que recouvre cette notion.

Toutes les capacités naturelles possèdent une limite. Cette limite varie en fonction de la personne et du type de tâche : nous avons tous, au regard de notre capital génétique et notre vécu, des prédispositions dans un ou plusieurs domaines.

De manière générale, toute personne se heurtera dans sa progression à une phase de stagnation :

  • Elle ne comprend plus ce qui est enseigné.
  • Quoi qu’elle fasse, l’exercice paraît impossible à réaliser.

Ce sont ces moments où une amélioration significative semble insaisissable et où notre croissance semble statique.

Devant le plateau, il s’avère que c’est l’état d’esprit de la personne qui est déterminant.

État d’esprit fixe et état d’esprit d’apprentissage

Dans son ouvrage « Changer d’état d’esprit », Carol Dweck distingue deux états d’esprit opposés :

  • L’état d’esprit fixe : la croyance qu’on est doué/pas doué dans un domaine donné et qu’il est impossible de changer les choses. Elle conduit à s’arrêter dès qu’on se heurte au plateau sans envisager de solutions.
  • L’état d’esprit d’apprentissage : la croyance dans la capacité de l’effort et de l’apprentissage. Se trouver bloqué fait partie du cycle d’apprentissage. Seuls les efforts adéquats permettent de progresser et de franchir l’obstacle.

Un exemple caractéristique est celui de l’écolier devant une note désastreuse en mathématiques.

S’il possède un état d’esprit fixe, il va estimer qu’il n’est pas doué dans cette matière, et donc baisser les bras et abandonner. Le résultat de l’examen est un signal incontournable que cette matière n’est simplement pas pour lui. Il ne peut rien faire pour s’améliorer.

À l’inverse, une personne possédant un état d’esprit d’apprentissage va estimer que le résultat de l’interrogation ne sanctionne pas un état définitif. C’est un critère qui lui permet de mesurer quel est son niveau actuel dans sa progression.

Il n’y a pas à baisser les bras, mais à se retrousser les manches pour avancer et s’améliorer.

L’état d’esprit d’apprentissage est la base de la maîtrise.

Qu’est-ce que la maîtrise ?

Afin de mieux transmettre ce qu’il entend par maîtrise, George Leonard oppose la recherche du succès à la maîtrise.

Dans le cas du succès, il s’agit d’atteindre un objectif particulier comme remporter une compétition, terminer un projet. Le résultat est explicitement visible par chacun et peut être soumis à une validation externe.

La maîtrise est un processus continu qui priorise la croissance interne et l’affinage progressif des compétences au fil du temps. Elle exige un engagement profond, de la résilience et une patience profonde. La maîtrise transforme les activités en pratiques et les chemins en voyage de toute une vie.

C’est un marathon, pas un sprint. Léonard met l’accent sur la nécessité d’un engagement à long terme et d’une persévérance incessante.

Cultiver la maîtrise demande d’accepter les hauts et les bas du progrès, de rester passionné et patient aussi bien lors des succès que des plateaux inévitables. Le chemin est marqué par des phases récurrentes, de croissance, d’obstacles. Comprendre ce processus cyclique et crucial pour quiconque aspire à atteindre la maîtrise.

La maîtrise possède des caractéristiques que George Leonard analyse dans son ouvrage :

  • Instruction : trouver un professeur qui possède les connaissances et sait les transmettre.
  • Pratique : seule la pratique continue, régulière nous permettra de progresser.
  • Soumission : Accepter de pratiquer sans rechercher le résultat immédiat.
  • Intentionnalité : Acquérir la détermination pour continuer à pratiquer
  • Le Bord : Ne jamais cesser d’aller au bout de ses possibilités pour s’améliorer.

Chacun de ces éléments mérite qu’on s’y attarde. Nous y reviendrons prochainement. Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’importance de la Pratique.

Pourquoi la pratique est une valeur sûre ?

Si nous revenons aux plateaux avec cette définition de la maîtrise, il s’avère que :

  • Ils ne doivent pas être perçus comme des revers, mais comme des opportunités pour un apprentissage plus approfondi et un renforcement des compétences.
  • Ils servent de terrain de test pour notre engagement et notre patience, des qualités essentielles pour l’excellence durable.

Un proverbe chinois dit :

Pour avoir une idée d’un mouvement, il faut le pratiquer 100 fois,

pour le connaître, il faut le pratiquer 1000 fois,

pour le maîtriser, il faut le pratiquer 10 000 fois

Que faire quand nous constatons que nous n’y arrivons pas ? Ainsi, nous pouvons bien sûr baisser les bras et admettre notre incapacité à surmonter cette difficulté. L’état d’esprit fixe nous dit que les talents sont fixés dès le départ par nos gènes ou autre élément de la destinée.

En général, les personnes dotées de cet état d’esprit :

  • arrêtent de suivre la discipline pour en trouver une autre qui convient à leurs talents naturels ;
  • stagnent en trouvant cela normal, voire plaisant.

Ce n’est pas la voie de la maîtrise.

Sur la voie de l’apprentissage, l’état d’esprit permet d’adopter une approche toute différente, car l’obstacle constitue en réalité un moyen formidable de progresser. Il signifie que nous avons atteint la limite de ce que nous connaissons. Pour évoluer, nous devons précisément étudier cette zone : c’est donc le plateau qui constitue la zone de progression.

Par exemple, un élève ayant une souplesse articulaire limitée cherchera comment dépasser la croyance qu’il ne peut pas dépasser ce blocage (je ne peux pas y arriver, car mon corps est raide).

C’est ici que l’importance de la Pratique entre en jeu. En effet, c’est seulement en adoptant une pratique régulière qu’un pratiquant peut avancer.

La voie de la maitrise est celle de l’amour de la Pratique pour elle-même. Elle encourage les individus à trouver de la joie dans la routine, à voir de la valeur dans les progrès incrémentiels et à accepter que le vrai développement soit rarement linéaire.

Bien sûr, un débutant sur la voie aura besoin de soutien pour arriver à trouver sa propre énergie. Quelques conseils peuvent être utiles.

Avant d’arriver à cette pratique soutenue, des habitudes doivent s’ancrer.

La première habitude est celle de la régularité dans la pratique. Repérer son rythme et le conserver quelles que soient les circonstances extérieures. Cela permet d’ancrer que la pratique est une activité routinière, mais importante.

La deuxième habitude est celle des rituels : selon les disciplines, le pratiquant doit s’approprier le rituel qui lui permet d’entrer dans un état de concentration pour pratiquer sans se disperser :

  • Endosser une tenue propre à la discipline ;
  • Répétition de gestes identiques à chaque début de séance ;

Chacun doit trouver un rituel qui donne à son attention l’énergie nécessaire pour créer la concentration durant le cours.

La troisième habitude consiste à se trouver un objectif atteignable concrètement afin de garder la motivation nécessaire pour persévérer.

Par exemple, en Tai Chi Chuan, il est difficile de réaliser un mouvement correct dès le début. Les exigences de cet art sont nombreuses et délicates à appréhender.

Se concentrer sur un aspect permet d’avancer sans se mettre de pression inutile.

À mon avis, tout débutant devrait travailler sur les fondamentaux en priorité :

  • Suis-je bien détendu quand je fais les mouvements ?
  • Mes pieds gardent-ils le contact avec le sol lors des déplacements ?
  • Mon équilibre est-il assuré sans la moindre tension ?
  • Quel sens donner à ce mouvement ?

Un élève cherchant la voie du développement se concentrera donc sur des éléments essentiels atteignables (je fais les choses à mon niveau) et non pas sur la réalisation parfaite du mouvement (recherche du résultat).

En résumé, l’apprentissage est un chemin d’accomplissement sur lequel chacun progresse à son rythme.

Devenir un maître ne signifie alors pas avoir acquis la perfection dans un art, car cela n’existe simplement pas.

Un maître est une personne suivant la voie de la maîtrise.

Suivre cette voie requiert les qualités que nous retrouvons chez tous les artisans, maitres d’œuvre : courage, patience, résilience, amour de l’ouvrage bien fait.


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