De l’apprentissage en Tai Chi Chuan

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Par REVEL Maximilien — Au fil du Tao

Comme toute matière relevant d’une compétence corporelle, l’apprentissage en Tai Chi Chuan débute par l’acquisition d’un savoir-faire.

Ainsi, en bricolage 1, la connaissance empirique s’avère essentielle :

  • savoir donner un coup de marteau de la bonne manière ne s’apprend pas dans un livre,
  • réparer un robinet qui fuit peut s’avérer évident pour MacGyver ou à l’inverse un problème insoluble pour une personne ne possédant pas l’expérience.

Si on poursuit sur cette image, une personne peut commencer par apprendre à planter un clou et terminer par la construction d’un immeuble avec les installations électriques, la plomberie sans oublier l’aspect architectural.

Mais, vouloir commencer directement par la construction d’une maison relève de l’utopie.

De la même manière, le Tai Chi Chuan est un art martial très complexe qui possède plusieurs niveaux d’apprentissage. Le débutant devra donc se concentrer sur savoir « planter un clou » avant de prétendre combattre un adversaire.

Dans cet article, je me concentrerai de ce fait sur l’acquisition d’un savoir-faire en Tai Chi Chuan en commençant par un préalable.

Préalable à tout apprentissage

Lorsqu’on débute dans une matière, nous ignorons que nous ne savons pas : nous essayons de rattacher les nouvelles expériences à ce que nous connaissons déjà.

Nous sommes soumis à un biais cognitif bien connu : la sensation, quelle que soit son origine, est identique dans toutes les disciplines. Nous avons un seul corps donc comment pourrait-il en être autrement ?

Cette croyance implique qu’un apprentissage d’une nouvelle matière serait uniquement la transposition des sensations acquises auparavant dans la nouvelle discipline.

Ainsi, un pratiquant d’un art martial externe aura tendance à placer toutes les disciplines martiales dans le même ressenti alors que :

  • Un blocage d’une attaque en karaté et en aïkido sera très différent. On ne bloque pas, mais on laisse le mouvement se faire en le dirigeant
  • Les entrainements spécifiques : en interne, la priorité sera au relâchement, à la concentration et la respiration tandis que l’externe se focalisera sur l’efficacité de la technique.
  • Les cris d’expression de la puissance seront différents : le kiai en karaté s’exprime différemment que le son Ha en Tai Chi Chuan.

L’apprentissage d’une discipline commence donc par la prise de conscience que nous ne sommes pas vierges de tout apprentissage antérieur.

La fameuse sentence prend tout son sens :

Avant de remplir sa tasse, il faut d’abord la vider.

Cette mise en garde en tête, comment le débutant procèdera-t-il pour acquérir ses premières techniques ?

Apprendre par le mimétisme

Imaginons que je ne possède pas d’oreille musicale : les sons de la gamme qui me parviennent ne sont pas identifiés comme tels. Je peux commencer à pratiquer de mon instrument (guitare par exemple) mais je suis incapable de reproduire la note Do à l’oreille.

Tout se passe comme si mon oreille ne comprenait pas le son perçu.

Il y a donc la nécessité d’éduquer la sensation.

Ce constat est général, mais rarement considéré dans sa réalité.

Or, je le répète, nous devons prendre conscience que la sensation doit être éduquée. C’est la première phase de tout apprentissage.

Ainsi, un guitariste débutant éduquera son oreille en écoutant des morceaux de son artiste favori et tentera de les reproduire à travers son écoute.

Dans les arts martiaux, le mimétisme se traduira par la reproduction du « son » d’un expert.

L’élève devra donc capter à travers les différents canaux sensoriels la manière dont le professeur (ou un élève avancé) utilise son corps pour faire le mouvement.

En laissant les sensations du mouvement se faire jour progressivement, le pratiquant ressent les sensations du Tai Chi Chuan.

L’approche mimétique établit chez le pratiquant une relation entre la sensation recherchée et le geste juste. Le pratiquant doit uniquement se préoccuper de faire le plus correctement possible le mouvement sans chercher à le comprendre intellectuellement.

Nous voyons donc l’importance de la répétition, en tentant de saisir de quelle manière le geste se réalise.

La première phase, avant de savoir planter un clou correctement, est l’acquisition du coup de main. Cela revient finalement au même en Tai Chi Chuan même si les mouvements sont plus complexes :

  • Identifier et mettre de côté ses préjugés,
  • Lire les composantes du mouvement chez l’expert,
  • Faire le mouvement le mieux possible.

Etapes suivantes dans l’apprentissage

S’il n’y avait qu’un travail de mimétisme, il faudrait constamment avoir sous ses yeux un professeur ou un modèle.

Si la première phase consiste à savoir intégrer des sensations correctes, la seconde commence par l’établissement d’un aller-retour entre l’esprit et le corps. Un exemple sera plus parlant qu’un long discours :

Un élève ayant ressenti comment libérer ses muscles, ses articulations , cherchera à établir une stabilité dans la sensation.

Afin de pouvoir devenir autonome, il va devoir faire appel à toute son attention dans le but de devenir conscient que :

  • le relâchement disparait ;
  • qu’il a besoin de retrouver la sensation de relâchement ;
  • qu’il doit la préserver en se rappelant sans cesse.

La deuxième phase consiste donc à retrouver et à conserver, grâce au rappel de notre esprit, la sensation acquise

La troisième phase repose sur l’amélioration du mouvement par l’analyse.

Là aussi, nous allons partir d’un exemple pour gagner en clarté :

Un exercice propose de neutraliser une attaque en restant détendu, sans utiliser une force musculaire.

La première étape consiste à copier le mouvement du professeur tel qu’il le démontre, à capter cette technique.

Ensuite, j’essaye de retrouver, par moi-même, comment neutraliser sans forces. Malgré tous mes efforts, il semble manquer un aspect de la technique, car je dois admettre que je me contracte pour dévier l’attaque.

La phase d’analyse se met donc en route :

  • soit, je demande au professeur ce qui manque à ma technique,
  • soit, j’arrive par ma compréhension à identifier l’élément manquant.

Le débutant utilisera bien entendu la communication avec son professeur dans cette phase.

Seul un pratiquant avancé sera en mesure d’analyser correctement une technique en Tai Chi Chuan.

Cycles d’apprentissage

Nous avons donc 3 phases dans un cycle :

  1. Intégrer un geste par mimétisme
  2. Savoir le retrouver tout seul par la concentration, l’attention
  3. Savoir analyser pour évoluer

Ceci constitue un cycle d’apprentissage.

À chaque nouvelle intégration d’une « sensation », nous nous sentons différents comme si nous nous étions enrichis d’une connaissance inconnue et désormais accessible.

Ce cycle se répète à l’infini, permettant au pratiquant de se perfectionner sans cesse dans sa discipline.

Je terminerai en précisant qu’il ne s’agissait pas ici de parler des phases de progression spécifiques au Tai Chi Chuan.

Il me paraissait indispensable de partager ce cycle d’apprentissage commun à toutes les disciplines du même type.

  1. Le parallèle entre le bricolage et le Tai Chi Chuan choquera inévitablement certaines personnes qui se font du Tai Chi Chuan une image désincarnée.

Commentaires

Une réponse à “De l’apprentissage en Tai Chi Chuan”

  1. Avatar de Flavie
    Flavie

    « Il y a donc la nécessité d’éduquer la sensation » / texte riche, l’analyse pourrait sembler évidente mais il est bon de se rappeler que la Sensation peut être notre phare dans un certain désordre intellectuel. Pendant les cours de Tai Chi Chuan, comme ailleurs 🙂
    Cela donne envie de pratiquer encore plus et différemment.
    Merci 🙏

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