Par REVEL Maximilien — Au fil du Tao
Cet article poursuit la réflexion sur le sujet de l’apprentissage, commencé dans un précédent article du Blog (https://aufildutao.fr/de-lapprentissage-en-tai-chi-chuan/).
Lors de l’apprentissage d’une discipline, le pratiquant est confronté à deux types de plateaux : les siens propre et ceux inhérents à la discipline.
Nous allons commencer par analyser les plateaux dans les arts martiaux et la manière dont notre école de Tai Chi Chuan conçoit ses propres niveaux.
Le cycle d’apprentissage de l’art martial
Tout art martial possède ses propres niveaux d’enseignement.
Ceux-ci sont organisés dans un certain ordre priorisant les qualités les plus essentielles selon la volonté de l’école.
La manière plus simple et directe consiste à afficher les niveaux par des couleurs de ceinture : les arts martiaux japonais (Karaté, Judo, Aïkido) rendent explicites le niveau du pratiquant en instaurant la ceinture blanche pour le débutant et toute une série de couleurs jusqu’à la ceinture noire pour le pratiquant avancé.
Nous avons ici une progression visible ou les premiers niveaux jusqu’à la ceinture noire posent les bases techniques. L’élève passe ses grades en mémorisant et réalisant les différentes formes élémentaires (Kata).
Ces niveaux matérialisés par des ceintures visent à :
- encourager le pratiquant par l’affichage de son niveau,
- créer un stress positif pour favoriser la progression dans la pratique,
- mettre en place un challenge entre les élèves pour leur donner envie d’offrir le meilleur d’eux-mêmes.
À partir de la ceinture noire, des qualités plus subtiles sont requises (temps passé dans la pratique, philosophie personnelle) : un système de Dan complète la ceinture noire.
Je précise que je décris ici des tendances générales afin de clarifier mon propos.
Par ailleurs, comme l’exprime le site https://www.pagodekungfu.fr/ceintures-et-grades-dans-les-arts-martiaux/
Dans les arts martiaux traditionnels, il n’y avait pas réellement de grades tels que nous les concevons aujourd’hui. Il s’agit d’une invention assez récente, apparue au 20ᵉ siècle dans un premier temps dans les arts martiaux japonais sous format de grades et de couleurs de ceintures. Les niveaux et les passages de grades sont une invention toute récente et on attribue surtout ce travail à Jigoro Kano, le père du judo, qui créa des grades et des dans, en s’inspirant des grades militaires. En effet, le développement des arts martiaux au Japon se fait en particulier en lien avec la scolarisation, comme une activité sportive. Pour populariser les arts de combat, on les enseigne à l’école et ils se développent à tous les niveaux de scolarisation. Un enseignement progressif et évolutif va de pair avec de l’enseignement à l’école, et donc il est assez naturel que des passages de grades aient été proposés.
Il faut avouer que la ceinture noire et ceci quelques soient l’art martial ne signifie qu’une fin de l’apprentissage de bases et qu’une nouvelle voie commence, celle du perfectionnement et de la compréhension. Il n’y a pas de valeur absolue qu’on pourrait accorder à une ceinture noire, car il n’y a pas réellement de comparaison possible entre les écoles pour l’obtenir.
Le dispositif des ceintures est donc une manière simple d’afficher les niveaux d’un art martial qui peut varier selon le type de public. Ainsi, en Aïkido, pour un public adulte, on distinguera uniquement la ceinture blanche (débutant) et ceinture noire (avancé).
Comme précisé au début du paragraphe, les compétences souhaitées varient considérablement selon la volonté de l’école. En général, un art externe privilégiera :
- la combativité : capacité de réflexe, de donner des coups (pied, poing) puissants et précis ;
- l’endurance : endurcissement du corps, capacité à tenir le temps d’un combat ;
- la qualité de la technique
Un art martial interne envisagera les qualités dites internes :
- la détente
- l’équilibre
- l’enracinement
- la coordination
- la capacité de concentration
- la qualité de la technique
Qu’en est-il dans notre école de Tai Chi Chuan ?
Le premier plateau d’apprentissage : la détente globale
En Tai Chi Chuan, le premier plateau d’apprentissage sera consacré à la capacité de détente, concentration et conscience du corps.
Ces éléments constituent la priorité en Tai Chi Chuan. Le pratiquant doit sans cesse chercher à se détendre, se relier à son corps. Sinon il s’éloignera de l’essence de l’art même si la technique est correcte.
Cette exigence se met en place dans le cours par des exercices de relâchement, étirement, de conscience du mouvement de la colonne vertébrale, épaules, coudes, poignets et articulations des jambes.
L’école dispose également de Qi-Gong doux permettant de ressentir progressivement ces différentes habiletés.
Il est à souligner que, souvent, le pratiquant s’arrête à ce stade de la pratique, car l’aspect santé y est prédominant : le Tai Chi Chuan devient alors uniquement un art de santé.
Cette première étape est en résumé la recherche d’un corps détendu, libéré, ou le pratiquant respire naturellement.
Le deuxième plateau d’apprentissage : enracinement et équilibre
Le second plateau d’apprentissage contient le premier. S’y rajoutent la disposition d’enracinement, d’équilibre et de qualité du déplacement.
L’enracinement a déjà été évoqué dans cet article : [https://aufildutao.fr/de-lenracinement-en-tai-chi-chuan/].
Il s’agit de pouvoir créer une sensation de conscience globale du corps avec une colonne vertébrale érigée vers le ciel et les pieds en appui sur la terre.
Les exercices se font aussi bien en statique (équilibre central Zhong-Ding) qu’en déplacement. Ils doivent faire prendre conscience de la manière dont on positionne son axe :
- a-t-il tendance à être trop penché en avant ou en arrière ?
- est-il recroquevillé au lieu de s’étirer des pieds jusqu’au sommet de la tête ?
- comment l’équilibre est-il géré lors des déplacements ?
Une attention spéciale est requise au niveau du bassin et du sacrum : le corps est souvent coupé en deux comme si on avait séparé les jambes et le haut du corps : la sensation du mouvement s’arrête au niveau du bas du dos au lieu de partir des jambes.
Cette étape est cruciale et demande un temps de pratique important.
Le troisième plateau d’apprentissage: les techniques
La détente articulaire et musculaire en place, la coordination en bonne voie ainsi que l’enracinement, alors le pratiquant s’attaquera aux techniques proprement dites. Cette étape est matérialisée par le Grand Enchainement.
Le Grand Enchainement peut être conçu comme une vaste bibliothèque contenant toutes les techniques du Tai Chi Chuan.
Extrêmement riche dans son contenu, il se compose de trois parties qui elles-mêmes sont contenues les unes dans les autres (la deuxième partie contient la première et la troisième partie contient les premières et deuxièmes).
Son étude passe d’abord par la mémorisation de la séquence de mouvements, suivi par l’appropriation de la technique à l’aide d’éducatifs.
Bien sûr, l’aspect technique ne représente qu’un aspect de la Forme. Sa place dans l’apprentissage laisse entendre qu’elle doit être réalisée de manière fluide, en mettant en œuvre toutes les qualités précédemment requises dans les précédents plateaux.
Nous pouvons donc comprendre que l’exécution de la Forme va exiger du pratiquant :
- la souplesse, la détente, la concentration, l’équilibre et l’enracinement (plateaux précédents),
- la réalisation des techniques proprement dites.
À ce stade de l’exposé, il nous faut souligner l’aspect contradictoire suivant :
Les cours de Tai Chi Chuan abordent directement la Forme alors que les premiers éléments n’ont pas été intégrés. En clair le troisième plateau est enseigné au mépris des premières exigences de cet art. Quelle en sont les raisons ?
Une pédagogie adaptée à notre société
Les explications diffèrent selon les écoles.
De mon point de vue, la progression traditionnelle est difficile à mettre en œuvre car :
- elle exige un temps de pratique très important incompatible avec le mode de vie actuel ;
- elle suppose chez l’ensemble des élèves une compréhension de la progression induite par les plateaux ;
- la possibilité de diviser les cours selon les niveaux est délicate.
La première difficulté a pour origine l’incompatibilité d’une pratique intensive avec notre mode de vie.
En effet, travailler sur les premiers plateaux suppose de pouvoir libérer suffisamment de temps en semaine afin de pouvoir se consacrer à l’étude des techniques assez rapidement.
Un pratiquant peinera à gérer un emploi du temps aussi conséquent pour diverses raisons professionnelles ou personnelles.
La seconde difficulté tient à la publicité faite autour du Tai Chi Chuan : le seul écho dans la presse non spécialisée repose en une démonstration de la Forme uniquement. On y voit dans les parcs des pratiquants en train d’exécuter les mouvements.
La demande majoritaire des débutants est donc d’arriver à dérouler la Forme comme un Qi-Gong. Avec le temps et la compréhension, la demande évolue, mais il est délicat de passer outre cette première vision du Tai Chi Chuan.
Par conséquent, le cours dit de Tai Chi Chuan sera basé officiellement sur l’apprentissage du Grand Enchainement alors qu’en réalité, il devra intégrer les différents éléments des plateaux précédents (détente, respiration, fluidité, équilibre, enracinement) avec les techniques proprement dites.
Les éducatifs techniques devront donc rappeler sans cesse que la technique n’est pas suffisante. Par exemple : dans le mouvement « Mouvoir les mains comme des nuages », on insistera sur :
- le relâchement corporel : jambes détendues, poignets et épaules relachés ;
- la coordination du mouvement des bras avec celui du centre de gravité ;
- l’équilibre des différentes masses corporelles : le poids des mains placées devant devront être contrebalancées par un placement du dos ;
Cette pédagogie s’est installée depuis des décennies : elle a le mérite d’offrir des cours intéressants, quel que soit le niveau.
Le prochain article poursuivra l’exposé sur les plateaux suivants.