Du relâchement en Taï-Chi-Chuan

Par REVEL Maximilien — Au Fil du Tao

Par quoi commencer afin d’assimiler convenablement les techniques de Tai Chi Chuan ?

De manière unanime, quel que soit le style, la nécessité de pouvoir se relâcher (notion de Song) est avancée en priorité.

Cheng Man’ching évoque l’importance que lui donnait Yang Chen Fu en le rappelant à chaque séance.

Le relâchement constitue donc une des composantes essentielles de cet art martial. Cependant, cette notion prête souvent à confusion.

Je tenterai d’offrir quelques éléments de compréhension en évoquant tout d’abord l’aspect mental (les pensées Xin et Yi) puis l’aspect corporel et enfin en précisant quel type de relâchement nous intéresse en Tai Chi Chuan.

Relâchement de la pensée

Dans un des textes fondamentaux (« Les treize clés importantes pour réguler le corps » de Gu Liu-Xing), deux phrases abordent ce sujet :

Xin, la pensée émotionnelle au repos, servez-vous du Yi. Votre corps se tient droit et relâché.

Le relâchement amène la souplesse. Au sein de la souplesse réside la force.

La première phase du relâchement n’est donc pas physique, mais émotionnelle et mentale. En effet, le texte établit une distinction entre 2 sortes de pensée, la pensée émotionnelle (Xin) et la pensée sage (Yi) :

  • Xin agit comme un singe. Elle est incontrôlable, car elle représente nos émotions négatives (peurs, envies, impatience) ;
  • Yi est représentée par un cheval. Sage, rationnel, il nous rend calme, tranquille, apaisé.

Le chemin qui mène au relâchement commence donc par la capacité de calmer ses pensées émotionnelles :

  • La concentration, déjà évoquée dans un précédent article, sera une des clés.
  • La respiration unissant le corps et l’esprit,
  • la discipline que l’on s’impose en écoutant et en suivant les consignes.

Cette phase est souvent décrite comme un nettoyage. Le Qi Gong en début de cours permet de prendre conscience de notre état de pensée :

  • Suis-je encore sous l’emprise de pensées sans rapport avec le mouvement ?
  • Ai-je des tensions musculaires dans mon corps à cause de mon état émotionnel ?

Si ma tête n’est pas tranquille, mon corps peinera à se relâcher.

On peut prendre conscience de la difficulté que représente ce premier niveau de détente en essayant de l’appliquer au quotidien dans des situations ou notre énergie est accaparée par les désagréments.

Le Tai Chi Chuan peut venir à notre secours si on s’investit dans quelques exercices très simples.

Relâchement corporel

Le relâchement n’est bien entendu pas uniquement du ressort de notre pensée. Elle nous engage sur le chemin du relâchement (en ne favorisant pas la dispersion des pensées), mais le travail se fera dans le corps.

Il est donc indispensable de commencer toute séance par des exercices de relâchement adaptés :

  • détente des articulations (poignets, coudes, épaules, hanches, genoux, chevilles),
  • étirement du torse (colonne vertébrale).

Effectivement, dans le cadre de la médecine traditionnelle chinoise, les tensions corporelles seraient dues à un Qi stagnant. Alors, il s’agit de faire circuler le Qi dans les muscles, les articulations.

Le relâchement musculaire et articulaire n’est pas suffisant en lui-même. Le pratiquant doit également rechercher à détendre ses organes internes.

Une partie de l’échauffement est donc consacrée à la détente de :

  • la zone abdominale (intestins, estomac) : une zone souvent ciblée par les tensions ; le Dan Tian, élément central de la pratique interne, est situé dans cette zone ;
  • la poitrine qui contient le plexus, siège des émotions. Détendre la poitrine permet de faire bouger les articulations intercostales, la zone scapulaire.

On doit tendre vers un corps droit et relâché.

Cette première phase est nécessaire pour prétendre pratiquer, mais elle n’est pas suffisante : elle est en réalité le premier niveau du Song.

Du relâchement physique et émotionnel au relâchement en Taï Chi Chuan

Un extrait de l’ouvrage de Wolfe Lowenthal « Cheng-Manch’ing, un grand maître de taï-chi parle » est extrêmement parlant sur le sujet :

Le premier principe du taï-chi-chuan est la détente, sans laquelle il n’y a pas de taï-chi. Le premier cours que le Maître avait coutume de faire aux débutants portait sur l’importance de « se détendre ». « Le corps entier doit être détendu, relâché et ouvert de manière à ce que le Qi, l’énergie vitale, puisse circuler sans entraves. C’est le principe du taï-chi en tant qu’exercice de santé ainsi qu’en tant que système d’autodéfense.” Plus avant, au cours de l’étude, comme nous commencions à nous détendre, il étendait la portée du concept : la Détente, nous disait-il, ce n’est pas simplement s’avachir. Elle doit contenir une qualité de vitalité. Le débutant doit se concentrer entièrement sur le relâchement de la tension et de la force dure, mais partant de là, le pratiquant doit considérer attentivement la différence entre la mollesse, qui est sans vie, et la détente d’un chat, qui est complètement vivante et alerte.

Souvent, le relâchement est assimilé uniquement à la détente musculaire. Ce qui ne mène pas bien loin en termes d’art martial.

Il ne s’agit pas d’annihiler le tonus musculaire, mais d’éviter les tensions.

Des articulations libérées, des muscles avec un tonus minimal, une pensée concentrée rendent alors possible la coordination des différentes parties du corps afin de pouvoir neutraliser une attaque ou émettre le Jin (Fa-Jin).

Le corps est comme un fouet.

Cette phrase constitue une des images fortes que nous utilisons en cours pour exprimer la globalité du corps et sa détente.

Trop fréquemment, nous oublions que l’essentiel de la pratique réside dans la souplesse, la fluidité des mouvements.

Le relâchement se traduit donc par un corps détendu, souple, attentif. La détente signifie alors être ainsi d’être capable :

  • d’intercepter une action sans force, céder éventuellement la diriger,
  • de frapper comme un fouet.

Les différentes phases de l’échauffement ont des fonctions précises préparant le corps et l’esprit vers la pratique de la forme.

Notre corps-esprit doit passer d’un état dispersé, tendu vers un état concentré-relâché. Il y a donc un processus de transformation que seule une pratique assidue permet de découvrir.