Par REVEL Maximilien — Au fil du Tao
Il est impossible de pratiquer le Tai Chi Chuan en étant assis. C’est un des éléments qui va le différencier des pratiques de Qi-Gong.
Ainsi, le Qi-Gong, que nous pratiquons au début de chaque cours, sollicite principalement le haut du corps. Il vise à la coordination de la taille et de la colonne vertébrale avec les bras.
Bien sûr, la sensation d’enracinement est présente. Cependant, le poids reste au milieu, ce qui ne favorise pas la circulation d’énergie à partir du sol.
À l’inverse, les mouvements du Grand Enchainement de Tai Chi Chuan se feront avec l’ensemble du corps.
Cheng Man Ching dans son ouvrage « les treize traités sur le Tai Chi Chuan » écrit :
Quand vous faites du Tai Chi Chuan, ne laissez pas les mains se mouvoir d’elles-mêmes ; si vous bougez uniquement les mains, ce n’est pas du Tai Chi Chuan !
Encore, en reprenant les Classiques :
Les pieds, les jambes et la taille bougent toujours de concert
Il faut avoir les pieds enracinés, les jambes décontractées, la taille comme un gouvernail et les doigts vivants.
On peut affirmer, en Tai Chi Chuan, que les jambes constituent la source du mouvement et de la puissance.
Nous allons nous attacher, dans cet article, à mettre en évidence la place centrale qu’elles occupent, à savoir être la source du mouvement. Cela implique qu’elles soient simultanément détendues et solides.
Une exigence contradictoire et indispensable concernant les jambes
Le premier plateau d’apprentissage en Tai Chi Chuan préconise la détente globale du corps.
En réalité, s’il est relativement intuitif de comprendre que nous devons détendre les bras, les épaules, le dos, cela se révèle moins évident pour le bas du corps.
Dans les dix Principes, il est fait mention explicitement de la partie supérieure :
- deuxième principe : rentrer la poitrine et arquer le dos ;
- troisième principe : détendre la taille ;
- cinquième principe : abaisser les épaules en dirigeant les coudes vers les bas.
Un indice de l’importance du bas du corps apparaît dans le quatrième principe (distinguer le vide et le plein) :
Le transfert du poids ne peut se faire que si un pied est vide et l’autre plein : la double lourdeur ne permet pas de circulation de l’énergie d’une jambe à l’autre.
Mais, c’est le septième principe qui vient à notre aide en nous rappelant :
le haut et le bas se suivent mutuellement
Nous voilà rappelés à l’importance essentielle de l’unité du corps :
Si une partie bouge, tout bouge
Ainsi, les jambes doivent être traitées comme les bras.
Pour libérer les bras, nous avons commencé par détendre les articulations des épaules, coudes et poignets.
De même, nous devons commencer par prendre conscience de la nécessité d’une souplesse articulaire.
Souplesse des articulations
Dans notre civilisation implantée dans les villes, les chevilles, genoux et hanches sont, en général, peu mobiles.
La cause en est le peu de sollicitation dans notre vie quotidienne :
- Les chevilles sont bloquées dans une seule direction (celle de la marche) car les trottoirs sont plats. À vrai dire, notre corps est conçu pour marcher sur des terrains difficiles qui demandent une souplesse importante de la cheville.
- Les hanches sont bloquées pour les mêmes causes : elles n’ont pas pris l’habitude de s’ouvrir ;
- les genoux ont moins de latitude, mais doivent pouvoir se fléchir sans difficultés.
Rappelons ici un passage du Traité des 17 clés :
Flexibilité des genoux. C’est la position fléchie des genoux qui vous donne l’élasticité des jambes indispensables pour générer et accumuler le Jin. La force et la flexibilité des tendons des genoux déterminent en grande partie la force et la flexibilité de tout le corps.
Une fois que nous avons commencé à travailler la souplesse articulaire, nous pouvons poursuivre avec le relâchement musculaire.
Relâchement musculaire et circulation énergétique
Si les jambes sont rigides, elles ne laisseront pas l’énergie circuler.
Tout se passe comme si une circulation était à l’œuvre dans tout notre corps, pas uniquement le haut. Voyons cela de plus près.
La circulation énergétique utilisée en Tai Chi Chuan est dénommée Grande circulation. 1
Elle consiste à prendre conscience que notre corps est parcouru par un trajet qui traverse :
- le Dan Tian (zone située dans le ventre)
- le point Ming Men (entre les deux reins)
- le point ShenZu entre les omoplates
- les bras jusqu’aux bouts des doigts
- les jambes
- les pieds
À la différence de la Petite circulation, les bras et les jambes sont des étapes importantes du parcours.
La grande circulation nous rappelle que le corps bouge dans sa globalité (aucune partie immobile) et se comporte comme un fouet, sans raideur, souple et vivant.
Nous recherchons donc une souplesse des muscles des jambes permettant la transmission du mouvement depuis les pieds jusqu’au bout des doigts.
La souplesse n’est pas la seule qualité recherchée, car les jambes soutiennent l’ensemble de la structure corporelle : sans jambes solides, la structure s’effondre par le fait de la gravité.
Le Tai Chi Chuan doit donc également veiller à améliorer et à entretenir la force musculaire.
Renforcement musculaire des jambes
La structure humaine est très différente de la plupart des animaux, à l’exception de nos cousins les plus proches, les primates.
La verticalité implique d’avoir une colonne vertébrale érigée soutenant la tête et les organes du torse.
Elle-même s’appuie sur le bassin et les jambes.
L’effort requis par le bas est donc en proportion et exige que les muscles de posture (quadriceps) puissent être renforcés.
Nous allons voir maintenant comment le Grand Enchainement en particulier, et le Tai Chi Chuan en général nous donnent les outils pour nous faire travailler :
- la souplesse articulaire et musculaire,
- le renforcement de nos jambes.
Outils mis en œuvre dans le Tai Chi Chuan
La pratique du Grand Enchainement impose en permanence la détente et la force dans les jambes.
La pratique du Grand Enchainement
Dès le début de la Forme, le pratiquant est invité à descendre son centre de gravité afin de pouvoir fléchir les genoux, détendre les chevilles et les hanches.
Dans la plupart des postures, trois consignes sont essentielles :
- Déplacer son poids d’une jambe à l’autre sans pousser sur le sol.
- Ne pas élever ou descendre le centre de gravité
- Bouger avec la totalité du corps comme une chaine qui se déploie
Les qualités induites par ces contraintes sont multiples :
- Garder son centre correctement positionné en déplacement (équilibre)
- Rester enraciné (les pieds ne décollent pas du sol)
- Développer la souplesse articulaire (chevilles, genoux, hanches)
- Ressentir la circulation qui émane des jambes et se poursuit dans tout le corps
- Developper la force musculaire des jambes tout en préservant leur relâchement
Concernant le renforcement musculaire, certains mouvements du Grand Enchaînement insistent sur cet aspect :
- Chercher l’aiguille au fond de la mer
- Frapper le tigre
- le serpent qui rampe
La position Fu Hu Bu contraint le pratiquant à une ouverture plus prononcée des hanches, ce qui va lui permettre de descendre sur une jambe aussi bas que cela lui est possible.
Nous voyons donc explicitement que le Grand Enchaînement met un accent très fort sur l’exigence de souplesse et force dans les jambes. Mais, cela est également vrai d’autres outils comme le tuishou.
L’exercice du Tuishou
En Tuishou, les jambes sont extrêmement sollicitées durant tout le temps que dure l’exercice.
Il se pratique les premières années en statique : les pratiquants doivent acquérir la capacité de neutraliser une attaque sans pour autant effectuer de déplacement.
Au point de vue stratégique, nous nous situons au niveau de l’équilibre central : Zhong Ding.
Cette position est l’une des cinq possibilités offertes et probablement la plus difficile à acquérir. En effet, il s’agit de pouvoir neutraliser une poussée à une ou deux mains dans un espace réduit de quelques centimètres.
Cela contraint le pratiquant à maintenir une seule et unique position : ses pieds restent positionnés de la même manière pendant tout l’exercice.
Il doit donc apprendre à déplacer son poids d’une jambe à l’autre en gérant le travail articulaire des hanches, genoux et chevilles.
Il développe ainsi plusieurs qualités :
- savoir aligner ses genoux sur l’axe du pied pour éviter tout désagrément ligamentaire ou tendineux
- détendre suffisamment la cheville, la hanche afin de pouvoir tourner la taille lors de la neutralisation
- Pousser /absorber sans mettre de force musculaire
En résumé, cet article avait l’ambition de souligner l’importance du bas du corps en Tai Chi Chuan : le mouvement part des jambes, est contrôlé par la taille et se termine au bout des doigts.
Le Tai Chi Chuan rend indispensable la capacité d’avoir des jambes vivantes, souples et fortes.
- Les notions relatives au Qi seront analysées dans un prochain article. ↩
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